Paru sur le journal LA CROIX avril 2008
Et quid de Maurice ? Qui bénéfice du même ensoleillement que La Réunion ?
Le bon élève de l’outre-mer veut expérimenter toutes les alternatives aux énergies fossiles pour atteindre 50 % d’autonomie électrique et la région rêve même d’une indépendance à 100 %
La Réunion ? « Un petit laboratoire des problèmes du monde », affirme son président de région, Paul Vergès. Cette île paradisiaque habitée depuis trois cent cinquante ans, cet éruptif lopin de terre de l’océan Indien d’une superficie inférieure au tiers de la Corse, est un concentré des soubresauts de la planète.
L’île est particulièrement exposée à la pression démographique : les habitants, 250 000 au sortir de la guerre, sont aujourd’hui 800 000 et atteindront le million dans moins de vingt ans. Elle est spécialement menacée par le réchauffement climatique en raison des prévisions de violence accrue des cyclones. Et sévèrement chahutée par la mondialisation : 2013 sonnera le glas du soutien à la filière sucre, base de l’économie locale, et « les bateaux lancés sur les autoroutes maritimes mondiales feront de moins en moins le crochet par l’île », pronostique Paul Vergès.
Avec sa population cosmopolite de descendants de marins et colons européens, d’anciens esclaves africains et de migrants venus d’Inde et de Chine, le métissage biologique et culturel de la Réunion est tel que « nous sommes tous des descendants d’étrangers et d’immigrés », poursuit le président de la région, faisant de l’île le reflet avant-gardiste de l’Europe multiethnique et multireligieuse de demain.
Une “écolonomie” à base de “négawatts”
Ainsi ce « laboratoire des problèmes du monde » peut être, plus qu’une terre de lamentation, un lieu d’expérimentation. Et La Réunion, qui a la réputation d’être le bon élève de l’outre-mer, entend jouer à fond son rôle de premier de la classe.
Son ambition ? Prouver sur ce territoire de 2 500 km2 que l’on peut éradiquer les émissions de CO2 et viser l’indépendance électrique grâce aux énergies renouvelables. Une obsession pour Paul Vergès qui avait présenté son projet d’indépendance énergétique de l’île dès 1999 à l’Unesco, mais avait à l’époque été accueilli avec quelque incrédulité.
Aujourd’hui, le gouvernement s’arrime à cette volonté réunionnaise pour faire de l’île la roue d’entraînement du Grenelle de l’environnement dans les DOM et de son objectif de 50 % d’énergies renouvelables outre-mer à l’horizon 2020.
« Paul Vergès est la première des énergies renouvelables à La Réunion », reconnaît André Antolini qui voue une « immense gratitude aux DOM ». « Les DOM, poursuit le président du Syndicat des énergies renouvelables, ont été de longues années un sanctuaire qui a permis le sauvetage de l’industrie française des énergies renouvelables. »
La Réunion bruit de cette nouvelle « écolonomie » ; un terme que le secrétaire d’État chargé de l’outre-mer, Yves Jégo, a repris à son compte lors de sa visite à La Réunion fin mars. Cette économie du développement durable est basée, pour l’électricité, sur la production de « négawatts » – parce que les meilleurs des watts sont ceux que l’on ne consomme pas – et sur la production de mégawatts d’origine renouvelable : éolien, solaire, biomasse et des projets tous azimuts en géothermie, énergie marine, stockage de l’électricité…
EDF vend de l’électricité à perte
« La seule centrale qui me fait gagner de l’argent, c’est la centrale à négawatts », confirme Jean-Louis Barbet, chef du pôle gestion du système électrique d’EDF à la Réunion. Car EDF vend l’électricité lourdement à perte sur l’île. « Un mégawattheure est vendu 90 €. Or, son coût de production s’élève à 145 € », explique-t-il. Chaque consommateur français finance la différence sur sa facture, au travers de la contribution au service public de l’électricité (CSPE). Donc, EDF a investi dans cette centrale à « négawatts » en aidant à la diffusion de 1,2 milliond’ampoules lampes basse consommation. « On a gagné 10 mégawatts », comptabilise le gestionnaire.
Autres grands économiseurs d’électricité : les 81 000 chauffe-eau solaires (CES) installés sur les toits – 10 000 de plus chaque année – pour un parc de 230 000 logements. « On a ainsi évité la construction d’une centrale thermique de 40 mégawatts », argumente Sylvain Viellepeau, directeur de Giordano, l’entreprise qui alimente 40 % du marché réunionnais des CES.
Mais le fleuron, ce sont les 400 m2 de modules solaires thermiques à usage industriel installés sur les toits des abattoirs Sicabat, à Saint-Pierre, qui traitent 12 000 tonnes de porc par an. « La plus grande installation thermique d’Europe », selon Sylvain Viellepeau, permet de porter chaque jour 60 000 litres d’eau à 65 °C pour nettoyer les 13 000 m2 de l’usine. Cette dernière a ainsi pu renoncer à acheter une nouvelle chaudière au fioul et économise 144 tonnes de CO2 par an.
Convaincue par l’intérêt du solaire, l’entreprise a loué 6 000 m2 de toit pour installer une centrale photovoltaïque qui sera opérationnelle début 2009. « L’engouement pour le solaire a déclenché une spéculation sur les toits : les toits sont préemptés par des baux de location dans le but d’y installer à terme des panneaux solaires », reconnaît Bertrand Dellinger, directeur général de BP Solar à la Réunion, l’entreprise qui avait, de manière pionnière, participé à l’électrification solaire des habitations de la zone montagneuse enclavée du cirque de Mafate, non raccordée au réseau électrique.
Les lycées dans la course
La chasse aux toits a bel et bien démarré. Les 7 500 panneaux d’une puissance de 1,25 mégawatt crête (MWc) installés sur les 20 000 m2 de toiture d’une plate-forme logistique au Port fonctionneront le mois prochain. Sur la même commune du Port, qui s’est proclamée « ville solaire » lors d’une délibération du conseil municipal en décembre dernier, 10 000 panneaux solaires sont en cours d’installation sur les toits d’une centrale d’achats. Les 42 lycées de l’île sont dans la course : sept ont déjà leurs toits couverts, cinq sont en cours d’installation, les autres doivent suivre. Avec toujours en ligne de mire l’excellent gisement solaire de l’île, exploitable toute l’année, mais aussi la lourde contrainte du risque cyclonique qui impose d’arrimer les installations au toit ou au sol.
Le centre d’enfouissement technique de Sainte-Suzanne fait visiter son ancienne décharge. Les quatre hectares de terre ont été réhabilités en unité de production de biogaz (issu de la méthanisation des déchets) et en centrale solaire, une autre première mondiale à la Réunion. « Nous avons récupéré les anciens voussoirs d’un tunnelier (les morceaux de voûte de tunnel en béton) qui pèsent 1,2 tonne à l’unité pour lester nos modules solaires au sol afin qu’ils résistent à des rafales de vent de 250 km/h », explique Alain Orriols, directeur général de SCE, Société de conversion d’énergie.
C’est aussi à cause des cyclones que seules poussent sur l’île les éoliennes Vergnet, du nom de leur inventeur, Marc Vergnet (1). Ces éoliennes bipales à mât haubané et articulé à la base sont rabattables au sol en trois quarts d’heure et sont, de ce fait, les seules de la planète à résister aux cyclones. Elles brassent nonchalamment le vent sur les hauteurs de Sainte-Suzanne. « Nous sommes une commune moderne à la campagne », revendique Maurice Gironcel, maire de Sainte-Suzanne, avec à ses pieds la décharge devenue centrale électrique et au-dessus de sa tête le parc Aérowatt et ses éoliennes Vergnet qui projette de s’orienter vers un cocktail énergétique : des panneaux solaires au pied des éoliennes et du stockage d’électricité par pompage-turbinage (2).
“Comme si on écopait à la petite cuillère”
Avec ses réalisations, ses projets et ses premières mondiales, la Réunion avance-t-elle vraiment vers l’autonomie électrique ? « C’est comme si l’on écopait à la petite cuillère », confesse Jules Dieudonné, directeur du Prerure, le Programme régional d’exploration et d’exploitation des énergies renouvelables et de l’usage rationnel de l’énergie.
Il fait directement référence à ce que l’on appelle sur l’île « les ravages de la “défisc†», ces programmes immobiliers jouissant de la défiscalisation qui poussent sur l’île sans répondre à la moindre exigence de réglementation thermique.
Quarante mille climatiseurs et 20 000 chauffe-eau électriques sont ainsi importés chaque année… « La Réunion a été historiquement traumatisée par le cyclone dévastateur de 1948. Les toits des maisons ont été emportés, les habitations détruites. De ce jour, l’île a renoncé à l’habitat créole avec ses coursives, ses fenêtres à jalousie et sa ventilation naturelle pour s’orienter massivement vers la construction en béton, les toitures terrasses et les baies vitrées », explique Jean-Claude Futhazar, directeur de l’environnement au conseil régional.
« Dans les bureaux, avec les façades en plein soleil, il fait si chaud qu’on ferme les rideaux, branche la climatisation et allume les lumières puisqu’on est dans le noir en plein jour », s’insurge l’énergéticien Jocelyn Meschenmoser qui participa à la réalisation de « L’Îlette du centre », l’une des rares « opérations de défiscalisation citoyennes », selon l’expression de son architecte Michel Reynaud, soit 300 m2 de bureaux et 66 logements qui ont renoué avec la fraîcheur naturelle et le confort de l’architecture créole au cœur de Saint-Pierre.
Pour sortir de cette hérésie de la construction, la Réunion réclame ce que Paris lui a jusqu’ici toujours refusé, à savoir l’autorisation de faire sa propre révolution énergétique – les DOM n’ayant droit à aucune réglementation thermique –, et table sur les deux projets de loi outre-mer et Grenelle de l’environnement.
Marie VERDIER, à La Réunion